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Les instruments de financement dilutifs : panorama et enjeux lors des premiers tours de financement

 

Les instruments de financement dilutif occupent une place centrale dans l’écosystème du capital-risque. Pour les investisseurs, en comprendre la diversité, leurs mécanismes, leurs avantages et leurs risques est essentiel pour structurer des opérations efficaces, aligner les intérêts des parties prenantes et maximiser la création de valeur. Cet article propose un panorama des principaux instruments de financement dilutifs utilisés lors des premiers tours de financement, en mettant l’accent sur leurs spécificités, leur utilisation stratégique et les enjeux qu’ils soulèvent pour les investisseurs.

 
 

1. Définition du financement dilutif

Le financement dilutif désigne l’ensemble des mécanismes par lesquels une société lève des fonds en émettant de nouveaux titres (actions, obligations convertibles, etc.) ayant pour effet de diluer immédiatement ou à terme la participation des actionnaires existants. Contrairement au financement non dilutif (obligations non convertibles, prêts, subventions, etc.), le financement dilutif implique une redistribution du capital social et, potentiellement, du pouvoir décisionnel.

Pour les investisseurs, le financement dilutif est le mode privilégié d’investissement, car il permet de prendre part au capital de sociétés à fort potentiel de croissance, en échange d’un risque élevé. La dilution est inhérente à la dynamique de croissance des jeunes sociétés, qui nécessitent généralement plusieurs tours de financement pour atteindre leur maturité.

2. Les principaux instruments de financement dilutif

Les instruments dilutifs se déclinent en plusieurs catégories, chacune répondant à des besoins spécifiques de l’entreprise et des investisseurs.

a. Les actions ordinaires 

L’émission d’actions ordinaires est la forme la plus simple de financement dilutif. Ce mécanisme est souvent utilisé lors des premiers tours de financement (série d’amorçage (seed) ou série A), lorsque la valorisation de l’entreprise est encore modeste.

En échange de leur investissement, les investisseurs reçoivent une portion du capital social et, attachés à leurs actions, un certain nombre de droits :

–       droit de participer aux décisions collectives des actionnaires,

–       droit de voter lors de celles-ci,

–       droit de percevoir des dividendes,

–       droit de souscrire de manière préférentielle à l’émission de nouveaux titres de la société, ou encore

–       droit d’information.

Pour les investisseurs, la souscription d’actions ordinaires offre une exposition directe à la création de valeur, mais comporte un risque élevé en cas de liquidation, d’une part car les actionnaires sont responsables des dettes de la société jusqu’à hauteur de leurs apports, et d’autre part car les actions ordinaires sont les derniers instruments (après la dette notamment) à bénéficier d’un éventuel boni de liquidation.

D’un point de vue de la mise en œuvre, l’émission d’actions ordinaires demeure relativement simple car cette opération nécessite principalement la tenue d’une assemblée générale des actionnaires de la société, laquelle se prononce sur rapports du président (dans le cas d’une société constituée sous forme de société par actions simplifiée (SAS)) et généralement d’un commissaire aux comptes (du fait de la suppression du droit préférentiel de souscription nécessaire à l’entrée de nouveaux investisseurs).

b. Les obligations convertibles

Les obligations convertibles sont des titres de créance, rémunérés au moyen d’intérêts qui peuvent être capitalisés ou non, qui peuvent être convertis en actions de la société émettrice à une date et/ou à des conditions prédéfinies.

Elles sont souvent utilisées lors de tours de financement intermédiaires (bridge rounds), lorsque la valorisation de l’entreprise est incertaine ou en phase de négociation.

Pour les investisseurs, les obligations convertibles offrent une protection relative (récupération prioritaire en cas de défaut, rémunération) tout en permettant de bénéficier de la hausse de la valorisation lors de la conversion.

Les modalités de conversion (prix, ratio, événements déclencheurs (triggers)) sont des éléments clés à négocier.

En termes de mise en œuvre, les modalités sont proches de celles exposées ci-avant pour les actions ordinaires, à l’exception des éléments suivants qui complexifient leur émission. En émettant des obligations avant que les associés aient approuvé de manière régulière deux bilans de la société, les associés s’obligent à procéder à la désignation d’un commissaire en charge de vérifier l’actif et le passif de la société, qui remettra un rapport à destination des associés.

Par ailleurs, si les termes et conditions des obligations convertibles peuvent être simplement prévus par les décisions des actionnaires de la société procédant à leur émission, il est vivement recommandé aux souscripteurs de conclure avec la société un contrat d’émission d’obligations convertibles, afin de négocier et sécuriser contractuellement ces termes et conditions.

A noter qu’à des stades plus avancés de développement de l’entreprise, des valeurs mobilières composées avec une base obligataire (OBSA – obligations à bon de souscription d’actions, OCABSA – obligations convertibles en actions à bon de souscription d’actions, ORA – obligations remboursables en actions…) peuvent faire leur apparition.

c. Les bons de souscription d’actions (BSA) et bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE)

Les BSA et BSPCE sont des instruments donnant le droit de souscrire à des actions à un prix fixé à l’avance, généralement utilisés pour attirer et fidéliser les talents ou pour structurer des tours de financement plus complexes.

Leur attribution est souvent prévue à partir des levées en série A dans le cadre des « pools d’ESOP » (employees stock option plan), lesquels permettront aux dirigeants de bénéficier d’une réserve assurant l’intéressement des managers ou employés, au moyen de BSA et de BSPCE mais également d’actions gratuites et d’options de souscription ou d’achat d’actions.

Si les investisseurs n’y sont généralement pas éligibles, ils ne manqueront néanmoins pas d’y être vigilants dans la mesure d’une part où ces outils ont un impact dilutif sur la société, et d’autre part où ceux-ci peuvent servir à aligner les intérêts des fondateurs, des salariés et des investisseurs, tout en offrant une flexibilité dans la structuration du capital.

d. Les SAFE (Simple Agreement for Future Equity) et les CLA (Convertible Loan Agreement)

Les SAFE et CLA sont des instruments récents, popularisés par l’écosystème américain, qui permettent d’investir rapidement dans une startup sans fixer immédiatement la valorisation, notamment entre deux tours de financement.

Le SAFE est structuré en France sous forme d’un BSA AIR (accord d’investissement rapide), lequel donne droit à la souscription d’actions de la société lors d’un futur tour de financement, selon des modalités prédéfinies dans un contrat d’investissement. Les investisseurs seront alors particulièrement vigilants aux clauses de décôte (discount), de valorisation plancher (floor valuation), et de valorisation plafond (valuation cap)) prévues dans ces contrats.

Le CLA fonctionne de manière similaire, mais sous forme de prêt convertible.

Ces outils sont appréciés pour leur simplicité et leur rapidité de mise en œuvre, mais nécessitent une attention particulière sur les clauses de conversion et les risques de dilution.

e. Les actions de préférence

De manière générale, les actions de préférence se retrouvent plutôt lors de tours de financement avancés (séries B, C, etc.), mais il n’est pas rare d’en retrouver dès les séries A notamment en présence d’investisseurs rompus au capital-risque.

Ces actions confèrent à leurs détenteurs des droits spécifiques, parmi lesquels peuvent se retrouver :

–       un droit de vote multiple,

–       le droit de désigner des représentants dans les organes de contrôle (conseil de surveillance par exemple) de la société,

–       un droit d’approbation préalable ou veto dans le cadre de l’adoption de certaines décisions,

–       un droit de préférence en cas de cession d’actions, de fusion ou de liquidation de la société (liquidation preference),

–       un dividende prioritaire,

–       des droits de conversion en actions ordinaires, ou encore

–       des clauses anti-dilution (notamment ratchet, qui permettent alors aux investisseurs d’être protégés en cas de baisse de la valorisation de la société).

La préférence peut être statutaire, c’est-à-dire inscrite dans les statuts de la société (auquel cas leur création nécessitera l’intervention d’un commissaire aux avantages particuliers), ou contractuelle, hypothèse dans laquelle leurs spécificités seront inscrites dans le pacte qui sera conclu entre les associés de la société.

3. Enjeux stratégiques du choix des instruments dilutifs

Le choix des instruments et la structuration des tours de financement soulèvent plusieurs enjeux majeurs pour les investisseurs :

–       Maîtrise de la dilution : la dilution est un phénomène inévitable dans le parcours d’une startup. Pour les investisseurs, il s’agit de trouver le bon équilibre entre l’apport de capitaux nécessaires à la croissance et la préservation d’une participation significative au capital. Les clauses anti-dilution (ratchet) sont des outils de protection, mais peuvent être perçues comme pénalisantes par les fondateurs.

–       Alignement des intérêts : la structuration du capital doit permettre d’aligner les intérêts des différentes parties prenantes : fondateurs, salariés, investisseurs historiques et nouveaux entrants. Les instruments dilutifs, bien utilisés, favorisent cet alignement en associant la création de valeur à la performance de l’entreprise.

–       Gestion des droits et du contrôle : les investisseurs chercheront à sécuriser leur investissement par des droits spécifiques (droit de véto, siège dans les organes de contrôle, droits d’information). Les instruments dilutifs et les pactes d’actionnaires permettent de négocier ces droits, mais il convient d’éviter une gouvernance trop complexe ou déséquilibrée, qui pourrait freiner la croissance ou décourager de futurs investisseurs.

–       Préparation de la Sortie : la structuration des instruments dilutifs a un impact direct sur les scénarios de sortie (M&A, IPO). Les liquidations préférentielles, droits de conversion et les clauses de sortie devront être anticipés pour maximiser la liquidité et la rentabilité de l’investissement.

4. Risques et limites des instruments de financement dilutifs

Si les instruments dilutifs sont incontournables dans le capital-risque, ils comportent également des risques et des limites.

–       Complexité juridique et fiscale : la multiplication des instruments et des clauses spécifiques peut rendre la structure du capital difficile à gérer, tant pour l’entreprise que pour les investisseurs. Une documentation juridique rigoureuse et une anticipation des conséquences fiscales sont indispensables.

–       Risque de sur-dilution : une succession de tours de financement mal calibrés peut entraîner une sur-dilution des fondateurs et des premiers investisseurs, au détriment de la motivation et de la stabilité de l’équipe dirigeante. Il est crucial de planifier la trajectoire de financement et de préserver un pool de titres suffisant pour les salariés clés.

–       Effet sur la valorisation : le choix des instruments dilutifs et des clauses associées influence la valorisation de l’entreprise et la perception des futurs investisseurs.

–       Risque de conflits entre actionnaires : la diversité des droits et des préférences peut générer des conflits d’intérêts entre actionnaires, notamment lors de la sortie ou en cas de difficultés. Une gouvernance claire et des mécanismes de résolution des conflits sont essentiels.

5. Bonnes pratiques pour les investisseurs

Pour tirer le meilleur parti des instruments de financement dilutifs, les investisseurs devront adopter une approche stratégique et rigoureuse.

–       Anticiper la trajectoire de financement : modéliser les besoins en capitaux, les étapes de croissance et les impacts de chaque tour sur la structure du capital.

–       Négocier des clauses équilibrées : protéger l’investissement sans décourager les fondateurs ou futurs investisseurs.

–       Favoriser la transparence : assurer une communication claire sur les droits, les obligations et les conséquences de chaque instrument.

–       S’entourer d’experts : mobiliser des conseils juridiques et financiers spécialisés pour structurer les opérations et anticiper les risques.

Article rédigé par Caroline Pucel , Counsel Dentons Paris pour Angels Santé , premier réseau de Business Angels en Santé

Dentons Paris , Membre Corporate d’Angels Santé depuis 2016