Hausse de la valorisation des start-ups : simple tendance ou bulle financière ?

Maéva Joalland Actualités du réseau, Tips Angels Santé

Sans parler d’explosion des valorisations, on observe actuellement une évolution à la hausse des montants des séries A, B et C. Ainsi de plus en plus de licornes valorisées à plus d’un milliard commencent à voir le jour en France. Le risque est alors de créer un décalage fort entre la valeur de marché et la valeur fondamentale (intrinsèque), jusqu’à créer une bulle spéculative. Mais alors doit-on craindre un effondrement brutal du marché ? Ce #TIPS vous partage les conditions actuelles de valorisation des entreprises technologiques innovantes et rappelle quelques bons principes.

Comment expliquer cette hausse des valorisations ?

Aujourd’hui, certaines entreprises technologiques dites « late stage » lèvent des fonds sur des valorisations à plusieurs milliards, du jamais vu dû à 3 raisons principales : une meilleure valorisation des actifs technologiques des entreprises, une concurrence accrue entre investisseurs et des investisseurs en recherche d’hypercroissance.

Une meilleure valorisation des actifs technologiques des entreprises

Ces cinq dernières années, l’écosystème start-up s’est accéléré et structuré. On appréhende mieux aujourd’hui ce qu’est une start-up, son rythme de croissance et sa valeur potentielle. On sait aujourd’hui que l’actif « tech » a une limite assez large et peut grimper très haut. Le fait que le potentiel des entreprises technologiques soit reconnu et compris leur a fait prendre de la valeur.
Quand les fondamentaux d'une entreprise sont bons, que la thèse d’investissement est bien définie, qu’il y a une traction marché évaluée avec les bons indicateurs, qu’il y a un bon positionnement et des leviers de croissance complémentaires, on peut estimer de manière pragmatique la valeur intrinsèque de l’entreprise.

Une concurrence accrue entre fonds

En 2019, le rapport de Philippe Tibi (1) sur le financement des entreprises technologiques décrivait comment la France pouvait s’inscrire comme place forte pour les entreprises technologiques et invitait à investir dans la tech, notamment dans les entreprises en late stage. Ceci en créant des fonds permettant à ces entreprises d’accéder au statut de licorne.
Consécutivement à ce rapport, des fonds se sont montés pour investir dans la tech, y compris des fonds étrangers. Comme chaque fonds à une durée de vie limitée – entre 7 à 10 ans – ils se sont rapidement déployés dans la tech et ont massivement et simultanément investi dans les entreprises technologiques. La concurrence entre fonds sur les deals a été relativement importante et, dans un contexte où il fallait investir rapidement, cette soudaine manne d’investisseurs, conjuguée à des due diligences hâtives, ont profité à de nombreuses entreprises technologiques late stage. Ces dernières ont pu faire d’énormes levées de fonds, rarement vues alors sur la place française, avec par exemple Alan, assureur santé qui a levé 183 millions d’euros en mai 2022 (série E) et qui est désormais valorisée à plus de 2 milliards. Ou encore Owkin qui a levé 180 millions en série B en 2021, s’érigeant ainsi en licorne à peine 5 ans après sa création.

Des investisseurs en recherche d’hypercroissance

Par rapport à la valorisation des entreprises, on regarde souvent le montant du tour de table mais moins fréquemment le type d'investisseurs. Dans le prix et la valorisation de l'entreprise, les conditions dans lesquelles les investisseurs entrent au capital conditionnent pourtant les levées suivantes.
Certains fonds de capital-risque (appelés fonds VC) cherchent l’hyper croissance de la start-up et misent sur les grosses levées potentielles consécutives pour avoir un retour sur investissement multiplié par 10 ou 20. Ce type d’investisseur inscrit souvent des clauses de bad leaver pour limiter sa perte si l’entreprise n’atteint pas l’objectif et qui prévoient le rachat - et donc le transfert des parts sociales des associés sortants –assorties d’un mécanisme de sanction le cas échéant. Les clauses de bad leaver (en français, clauses de cession forcée) permettent de s’assurer que certains associés restent dans la société et figurent généralement dans le pacte d’associés ou dans les statuts de la société. Les associés s’engagent par ces clauses à céder leurs titres à un prix inférieur à celui du marché s’ils quittent prématurément leurs fonctions.

D'autres fonds, dits "evergreen" ne recherchent pas forcément l'hyper croissance et se positionnent sur un engagement de long terme. Les fonds « evergreen » dont la durée de vie n’est pas limitée dans le temps et qui bénéficient d’un « capital permanent » ont la capacité d’accompagner les sociétés sur des durées d’investissement plus longues.

Les pratiques à adopter pour un investissement réussi

Une bonne valorisation ne veut pas toujours dire aller chercher le prix le plus élevé. Pour faire une bonne levée, il faut anticiper le tour suivant et s’assurer qu’entre deux levées l’entreprise va créer de la valeur. Si on part d’une valorisation trop haute, la levée suivante risque d’être plus difficile. Il existe aujourd’hui des entreprises « zombies » qui sont sorties de leur phase d’hyper croissance et dont la valorisation stagne. Il devient alors très difficile pour elles de lever à nouveau car elles ne sont plus attractives pour les investisseurs qui recherchent de gros deals plus rentables (2)( 3).

« Il faut définir sa valorisation en anticipant le tour suivant »

La levée de fonds doit servir à réaliser un plan de croissance et à cheminer d’un jalon créateur de valeur à un autre. Si on sait qu'on veut vendre sa société rapidement, il vaut mieux chercher l'hyper croissance et démarcher des fonds VC. Au contraire, si on veut développer une entreprise sur le long terme où le CEO reste majoritaire, il vaut mieux approcher des family office et fonds evergreen. Ce sont des questions à se poser pour définir le type d'investissement que l’on cherche et bâtir le business plan qui va avec.

De belles perspectives de croissance en Europe

Le marché de la tech en France et en Europe est relativement petit et a de la place pour grandir.
Si on compare avec les plus grosses capitalisations des entreprises américaines ou chinoises, sur les 10 plus grosses capitalisations il y a eu 8 entreprises technologiques (4). Alors qu’en Europe, si on prend le CAC40 (France), le FTSE 100 (Angleterre) ou encore le DAX (Allemagne), il n’y a quasiment aucune entreprise technologique, alors que ces dernières foisonnent aujourd’hui dans notre économie. En Europe, on comble actuellement un retard et des leaders européens dans la technologie devraient émerger dans la prochaine décennie. Et cela laisse de la place pour augmenter la valeur des start-ups technologiques. L’enjeu est de s’assurer de la présence de relais, par exemple en facilitant les introductions en bourse ou encore par le biais de gros fonds de private equity pour prendre le relais des fonds de VC. Tout ceci va créer un environnement vertueux pour continuer à établir le marché de la tech en Europe et en France.

 

(1) Rapport Tibi, 2019 « Financer la IVè révolution industrielle - Lever le verrou du financement des entreprises technologiques»: https://www.economie.gouv.fr/rapport-philippe-tibi-financement-des-entreprises-technologiques-francaises# 

(2) Many Recently Public Companies Worth Less Than The Private Capital They Raised, Mars 2022 : https://news.crunchbase.com/news/public-companies-worth-less-valuation/

(3) Are The Good Times Over? Startup Valuations Dip As Inflation, Geopolitical Issues And Pandemic Concerns Swirl, Mars 2022 : https://news.crunchbase.com/news/startup-vc-fundraising-valuations-falling-2022/ 

(4) Marché : le top 100 des plus grandes capitalisations boursières mondiales au 30 décembre 2021 : https://www.tradingsat.com/actualites/marches-financiers/le-top-100-des-plus-grandes-capitalisations-boursieres-mondiales-au-30-decembre-2021-999963.html 

 

Propos recueillis auprès de Sébastien Paillet, co-fondateur et CEO de Early Metrics

TIPS Angels Santé 

Rédaction @Ophelie Philippot


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